Vous étiez arrivées la veille, toi et tes trois valises. Pas vraiment triste de quitter ta bulle familiale, autant tu étais contente que tes parents te paient tout, autant tu étais contente de la liberté que t'offrirait désormais le fait de vivre seule. Et puis comme ça, tu leur montrais que tu faisais des efforts pour faire quelque chose de ta vie... Pas forcément que t'allais réussir, hein. Dans le pire des cas ça t'aurait fait des vacances pépére.
Dans tous les cas, tu étais là, et maintenant, tu n'avais plus qu'à profiter. Pour l'instant, tu laissais de côté les études et le travail le temps de t'adapter (ou ce n'était qu'une excuse...?), de faire de nouvelles connaissances (amis – et éventuellement amies ). Et why not rencontrer le cheval que tu avais pris en DP. Tes parents t'avaient proposés de l'acheter, mais franchement, non merci. Tu aimais bien les chevaux, mais d'ici à avoir une responsabilité... Non, tu en voulais un qui te permette de bosser, de t'entraîner, pas un dont tu devrais assumer la responsabilité toute ta vie. Les devoirs, très peu pour toi. Tu préfères largement les devoirs.

Qui avais-tu choisis ? Une jument, tu l'avais à peine vue, choisie aux écuries un peu au pif. Tu ne voulais pas un cheval de dressage, t'as pas assez de patience pour ça, pas un cheval trop calme, tu te serais ennuyée. Tu avais vu cette jument de course, et en écoutant à peine les explications de l'employé sur place qui tentait de t'aider malgré le fait que tu l'ignores, tu avais demandé ses papiers. Un cheval de course, c'est une pile électrique, ça devrait t'occuper. C'est qu'après que tu te sois un peu plus intéressée à elle que t'avais appris que les courses c'était fini pour elle, et qu'elle était plus bonne à rien. Et merde. Des problèmes, c'est pas pour toi, t'as pas le temps. Donc, t'allais changer de cheval. Mais tu voulais faire une première visite à la jument, pas pour ta conscience, surtout pour que les responsables des écuries voient pas direct que t'es irresponsable. Tu prétexterais qu'à la visite, le courant est pas passé, et tu prendrais un autre cheval, t'avais vu un espagnol qui avait l'air pas trop mal ; de toutes façons tu préférais ça à un cheval qui déprime et ne sait rien faire.

Tu t'étais levée tard en enfilant une tenue légère, un legging de sport, qui, tu le savais, valorisait tes courbes, un débardeur décolleté, des baskets. Tu avais coiffé tes cheveux rapidement avant de sortir et te diriger vers les écuries. Déjà, t'entends un bon boucan dans l'écurie et tu sais que c'est pour toi.
Oui, celle qui défonce sa porte de box, c'est ta DP ( jusqu'à ce soir hein ). « Oh oh tu te calmes ! » Licol en main, tu ouvres le box et licole la jument sans dire un mot, pendant qu'elle t'observe, les oreilles couchées.
Tu la sors de là et l'amène à l'aire de pansage, aujourd'hui tu faisais juste connaissance avec elle... Et de toutes façons, tu changeais de DP dès aujourd'hui, pas la peine de trop s'investir hein.

Tu l'attaches à l'aire de pansage devant son air mécontent. « T'inquiètes pas, toi et moi ça va pas durer, supporte juste une petite heure et on se reverra plus. » Tu flattes son encolure par réflexe, et file chercher le matos de pansage. Quand tu reviens, tu constates que l'humeur n'a pas changé, la jument fouette l'air de la queue. Pas contente ? Pas grave. Sans rien dire, tu commences le pansage, et te perds dans tes pensées. En fait, il te faut 10minutes pour remarquer ses blessures. Ici une cicatrice pas si vieille, là la peau est à vif : au niveau de la tête, les genoux, les flancs... Des marques de maltraitance ? Non, d'ennui, tu l'as bien vu, elle tapait dans la porte à ton arrivée. Les coups de brosses ralentissent durant quelques instants, où tu prends le temps de détailler le cheval. Des cicatrices, ici et là. Pourquoi ça t'interpelle, toi qui n'en a aucune ? Pourquoi en aurais-tu eu, dans ta petite vie dorée ? Tu es soudainement confrontée à la détresse, toi qui ne l'a jamais connue. Tu reprends le pansage avec plus d'énergie, mais dans le silence cette fois-ci, et tu n'oses même pas répliquer quand la jument te lance un regard assassin.

Le pansage fini, et toujours sans un mot, tu vas ranger le matériel, avant d'aller remettre la jument dans son box. A peine la porte fermée, elle tape dedans du genou, encore une fois, et cette fois-ci tu frissonnes, comme si c'était toi qui sentait le coup sur ta cicatrice. Nouveau coup, nouvelle douleur. Tu ne peux t'empêcher de poser ta main sur le nez de la jument pour la faire reculer, tenter de la faire arrêter, mais tu te doutes que dès le dos tourné elle reprendra de plus belle.

Tu quittes les écuries, non sans beaucoup de questions dans ta tête. Cette jument blessée, à seulement 3 ans, toi, la petite princesse que la vie a épargné. Ca te trouble plus que tu ne le voudrais, et malgré toi tu sais que tu ne vas pas changer de DP. Pas tout de suite, le temps que tu comprennes ce qu'il se passe dans ta tête quand tu es avec cette jument.